Login

Inflation Le chèque alimentaire est-il une bonne idée ?

Les associations caritatives, ici une distribution des Banques alimentaires, estiment que le chèque alimentaire raterait sa cible s’il ne tenait pas compte de l’accompagnement de ses bénéficiaires. © Ghislène Ghouraib/Banques alimentaires

Le gouvernement envisage de donner une somme d’argent aux plus démunis pour lutter contre l’inflation des prix des aliments. Les associations craignent qu’il soit un appel d’air pour les produits étrangers ou qu’il mette de côté la question de l’éducation à la nutrition.

Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.

« L’inflation pour les produits de grande consommation est en forte augmentation en avril 2022 pour atteindre 2,89 % sur un an et 1,13 % sur un mois », résume le cabinet Iri, spécialiste du sujet, en tête de son baromètre mensuel des prix.

L’alimentation de base est particulièrement concernée par cette hausse des prix :

Certes, le prix du jambon cuit baisse mais pas du tout dans les mêmes proportions : −1,32 % sur un an. L’Insee prévoit une hausse globale des prix de 5,4 % en juin 2022.

Les hausses sont spectaculaires mais elles portent sur des prix assez faibles. L’alimentation représente 16 % du budget des ménages en moyenne, selon l’enquête sur les niveaux de vie de l’Insee (chiffres de 2017). « Mais, psychologiquement, ça compte », reconnaît Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, interrogée sur ce sujet le 4 mai 2022. Et ça compte d’autant plus que le revenu des ménages est faible, analysait l’Insee dans une étude de 2020 : 18 % du budget des ménages modestes contre 14 % pour les ménages les plus aisés.

Sept à huit millions de personnes sans alimentation saine

Pour Laurent Seux, du Secours catholique, ce sont sept à huit millions de personnes en France qui n’ont pas accès à une alimentation saine, en quantité et en qualité. « Les personnes en précarité nous disent qu’elles ont conscience des dangers qui pèsent ainsi sur leur santé mais qu’elles ne peuvent pas faire autrement. C’est bien la preuve qu’il y a un problème de revenu à l’origine de cette précarité alimentaire », commente-t-il.

Puisqu’on est en campagne électorale, la question est entrée dans le champ politique. Pour résumer, le débat s’articule autour de trois propositions :

Des solutions partielles

Devant un tel panel, Julien Adda, directeur du réseau Cocagne, réagit : « On comprend que les politiques doivent répondre pour le court terme. Mais les trois solutions ont des défauts : le blocage des prix ne répond pas à la question de la rémunération des producteurs ; la baisse de la TVA sur les produits bio n’est pas la bonne porte d’entrée parce qu’elle ne tient pas compte des marges dans le secteur ; et le chèque alimentaire est une vision très partielle de la question. » Le réseau Cocagne fédère des projets de territoire qui combinent l’insertion par le travail, le circuit court et l’agriculture biologique.

La suppression de la TVA sur certains produits alimentaires a été rapidement évacuée pendant le débat entre les deux tours de l’élection présidentielle en raison de son inefficacité envers la cible : « Votre baisse de TVA va aller beaucoup plus aux grands distributeurs qu’aux consommateurs. Et en plus, elle est injuste, car vous et moi, on n’a pas besoin de payer zéro de TVA sur ces biens », lançait le président de la République durant le débat télévisé.

Le blocage des prix des fruits et légumes était proposé par le candidat Jean-Luc Mélenchon. « Dans ce cas, on évacue la question de la rémunération des producteurs », rebondit Julien Adda. En effet, les coûts de production des agriculteurs, eux, ne pourraient pas être bloqués puisqu’ils sont connectés aux cours mondiaux de l’énergie, des engrais ou de la logistique.

Mais Michel-Edouard Leclerc, patron de la centrale d’achat du même nom, applique depuis le 4 mai 2022 et pour deux mois un blocage des prix sur un panier de 120 produits alimentaires et de première nécessité. « Il contraint ses marges. Comme quoi les distributeurs qui ont imposé la déflation depuis huit ans peuvent le faire », ironisait Christiane Lambert le 4 mai 2022 sur le plateau de BFM business. Depuis cette annonce, on sait les modalités de ce blocage des prix. Il se fait par un remboursement sur la carte de fidélité, ce qui teinte la philanthropie affichée d’une pointe de stratégie commerciale.

Le périmètre du chèque alimentaire

Enfin, le chèque alimentaire, discuté depuis deux ans, est repris par Emmanuel Macron le 22 mars 2022 au cours d’une interview sur la radio France Bleu. Son intention est d’accorder une somme, entre 30 et 60 euros, aux familles avec des revenus modestes et aux jeunes entre 18 et 25 ans. Elle servirait uniquement à l’achat de produits alimentaires en privilégiant les circuits courts. Sa formalisation concrète se ferait grâce à une loi proposée au Parlement dès les premiers jours de la nouvelle législature.

> À lire aussi : Le chèque alimentation attendra la réélection de Macron (19/04/2022)

Fidèle à ses positions déjà exprimées depuis deux ans, la FNSEA insiste pour que le chèque privilégie les achats de produits français ou européens. « Il ne doit pas être un appel d’air pour les produits étrangers », écrivait-elle en mars 2021 lorsque le chèque alimentaire avait déjà été envisagé dans la loi Climat et résilience.

On n’est pas là que pour les nourrir

Angélique Delahaye, agricultrice et présidente de Solaal

Les associations caritatives, si elles reconnaissent que le chèque alimentaire peut être une solution de très court terme, refusent qu’il soit une manière d’acheter la fin du travail d’éducation alimentaire qu’elles assurent depuis des années. « Si on apprécie que, pour la première fois, on ne lie plus l’aide alimentaire au gaspillage et aux invendus, une telle idée ne peut constituer une réponse pérenne au problème », estime Boris Tavernier, délégué général de l’association Vrac, un réseau de groupements d’achats dans les quartiers populaires et les campus.

Un travail d’éducation alimentaire

« Il faudrait au moins 120 euros par mois pour financer une alimentation correcte mais, même dans ce cas, un tel système reviendrait à donner des miettes et à faire l’impasse sur des solutions qui permettent de vivre dignement sur le long terme », ajoute Laurent Seux, responsable du programme Ensemble, bien vivre, bien manger du Secours catholique. Familles rurales demande que le chèque alimentaire porte sur les produits qui sont valorisés dans le plan national nutrition santé.

« On n’est pas là que pour les nourrir », lance Angélique Delahaye, agricultrice et présidente de Solaal, une association de dons agricoles qui travaille avec les Banques alimentaires. Barbara Mauvilain, responsable des relations institutionnelles des Banques alimentaires, le confirme : « Le point faible du chèque alimentaire tel qu’il est envisagé, c’est le manque d’accompagnement des bénéficiaires. Il faudrait confier une partie des chèques alimentaires au réseau associatif pour qu’il puisse acheter des produits locaux aux agriculteurs, comme nous avons commencé à le faire pendant le confinement. Ça resserrait les liens avec les filières agricoles. »

> À lire aussi : François Hollande rencontre les glaneurs volontaires de Solaal (30/09/2021)

Vers une approche des systèmes agroalimentaires

« Au-delà du court terme, il faut déplacer le débat vers une approche systémique des enjeux alimentaires. Il faut rentrer dans une logique d’investissement de long terme dans des filières solidaires de territoire », reprend Julien Adda du réseau Cocagne.

Pauline Verrière, d’Action contre la faim, précise ce qu’elle entend par là : « La problématique n’est pas de produire plus mais mieux. Il faut remettre en cause le système alimentaire industrialisé global. » Lui-même agriculteur, Quentin Delachapelle, président du réseau Civam, se fait plus concret : « En fait, il faut changer de pratiques pour entrer dans une logique d’autosuffisance. C’est le chemin qu’initie la politique européenne Farm to fork. »

> À lire aussi : Organiser une collecte alimentaire pour une association (26/04/2020)

Éric Young

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement